Discussion:
L'énonciatif gascon E à la lumière du breton
(trop ancien pour répondre)
Éole
2008-10-18 21:03:14 UTC
Permalink
Tant pis, à la demande de... personne, je me lance. D'ailleurs, j'ai
la crève, je suis donc parti pour polluer sco tout le week-end^^

INTRODUCTION:

Un bateleur patenté nous expliquait récemment que l'énonciatif existe
en basque, en gascon et en espagnol. En réalité, le castillan n'en a
que des traces, qui font d'ailleurs écho au basque ("ya sé" /
"badakit" ba + dakit [vèrbe}]). Le basque unifié n'en a que des traces
aussi, a vista de nas il est plus fréquent dans le basque "de France",
mais certainement pas systématique.

Le breton a une "particule verbale" qui distingue deux types de
phrases affirmatives. Ça a un goût d'énonciatif, puisque ces deux
types s'opposent à la phrase affirmative.

Gascon: que --><-- non(/ne)... pas
Castillan: ya --><-- no
Basque: ba --><-- ez
Breton: a / e --><-- ne... ket

C'est Chomsky qui est content, là, à moins que ce ne soit un auteur
qui parlait d'énonciatif en ancien français, hum ne serait-ce pas un
certain Pierre Bec?
Éole
2008-10-18 21:41:15 UTC
Permalink
On 18 oct, 23:03, Éole <***@lavache.com> wrote:

Mais laissons de côté cet énonciatif de la phrase affirmative et
passons à l'énonciatif de la phrase interrogative:

Gascon: E
Castillan: rien
Basque: AL
Breton: HA, redoublé en DAOUST HA en vannetais (je crois).

Pour le basque: joker.

Pour le gascon et le breton: on remarque que dans les deux cas, on a
un mot synonyme d'une conjonction de coordination. Il est légitime de
poser l'hypothèse que celle-ci est à l'origine de l'énonciatif.

En gascon, le mot E peut en fait introduire tout type de phrase
interrogative. Exemples dans des interrogations partielles (appelant
une autre réponse que "oui" ou "non"):
- Adiu Jan, e quin te va?
- E t'on ès partit tu?
C'est un registre familier, cela ne veut pas dire que ce soit récent
(on remarque bien qu'en latin "familier" et "archaïque" se recoupent
souvent, cf. Plaute, alors pourquoi pas ici).

Dans une interrogation totale, on a E dans un registre courant, en
DÉBUT DE PHRASE:
- E vòs pan?
Toujours dans le registre courant, et dans les interrogations
partielles, on le trouve, selon les linguistes, DEVANT le verbe
lorsque celui-ci est SÉPARÉ du mot interrogatif commençant la
proposition. Exemples:
- Quin aqueth tipe e volè que comprenossi? (face à: Quin volè que
comprenossi).
Mais cette phrase est douteuse. Un locuteur naturel dirait plutôt:
– Quin volè aqueth tipe que comprenossi?
En réalité, cette règle semble davantage concerner l'emploi de E dans
les subordonnées, ce dont je parlerai plus tard.

Dans:
- Perqué e'u vòs? [per'ke u 'βɔs],

on doit penser à un simple artefact phonétique, car on ne dit pas:
- *A qui e disè aquò? mais bien - A qui disè aquò?

Il vaut donc mieux écrire "Perqué'u vòs?". Pour une fois, je suis
d'accord avec les grammairiens Bip, Bip et Bip. Décidément, je suis
d'accord avec tout le monde ce soir^^

Pourquoi la présence *systématique* de ce E dans certaines conditions?
Ma réponse est simple: cf. les exemples en gascon familier, qui
auraient systématisés par la nécessité d'avoir un équivalent du QUE
des phrases affirmatives et du NON (/NE)... PAS des phrases négatives
(voire du ÇÒ [--> CE, CI, ÇA) des incises]).

Cela ne résoud pas l'origine de l'énonciatif QUE. Je ne prétends pas
la résoudre.

Bon, j'arrête parce que j'ai l'impression que JFB va s'arracher les
cheveux. Allons dormir avant d'écrire trop de bêtises.
u***@gmail.com
2008-10-19 00:47:01 UTC
Permalink
Ce message pourrait être inapproprié. Cliquez pour l'afficher.
Éole
2008-10-19 12:50:10 UTC
Permalink
Je n'ai aucune opinion sur l'�nonciatif. La seule question � se poser
� mon sens est pourquoi l'�nonciation verbale en gascon ne peut se
faire sans la particule que. Or r�pondre � cette question, c'est soit
proposer une th�orie fond�e sur le substrat, soit d�velopper une
explication morphologique propre au syst�me du gascon.
1. k� conjonctif : introduction d'une proposition subordonn�e
compl�tive apr�s une principale sous-entendue : je suis s�r que, bien
s�r que, ...
La preuve de ce k� est fournie par le sk� girondin, contraction de �s
k�.
Ex : sk� k� plaw "c'est un fait qu'il pleur"
sk� n� plaw pas "il ne pleut pas"
2. k� d'insistance : la valeur d'insistance se porte sur la particule.
Bec suppose que la particule n'a �t� d'abord �t� utilis�e que dans la
phrase affirmative, puis a gagn� la n�gation. D'o� certaines
h�sitations "que non pas" ou "que pas". Enfin la particule aurait
gagn� l'interrogation, du moins tendenciellement.
3. k� explicatif : signifie "parce que, par" (fr�quent en vx fran�ais,
catalan, aragonais, ...).
Ex en fran�ais r�gional : mets-toi le chapeau qu'il fait froid (bota-
te lo cap�l, que fa fred).
4. k� syntactique : pris chez Bouzet, ce k� sert "� distinguer du
th�me et des circonstances l'�l�ment nouveau que le sujet parlant veut
communiquer".
Ex de Bouzet : Coan est� hart de courre en�� e'nl�, lo praube maynat
qui-s mouribe de hami, que se-n boulou tourn� ta case"
Mise en valeur du verbe dans la hi�rarchie des �nonciations.
5. k� syllabique : cons�quence de la tendance du gascon � employer des
formes asyllabiques des pronoms conjoints d'o� n�cessit� de former
syllabe. Dans la zone du Couserans, l'asyllabisme et le qu� �nonciatif
concordent presque parfaitement. C'est pour Bec l'�l�ment essentiel de
la g�n�ralisation car propre au gascon.
Remarquons toutefois que cela revient � expliquer l'asyllabisme en
gascon ... Pour Bec, tous ces facteurs se sont conjugu�s pour aboutir
� la situation actuelle. Il ne peut s'emp�cher de remarquer qu'il
s'agit essentiellement d'un fait aquitain. Pour lui, de la m�me
mani�re que pas autrefois simple renforcement de la n�gation est
devenu le morph�me n�gatif par excellence en occitan, k� a perdu toute
notion d'insistance pour devenir le signe de l'�nonciation.
La localisation des diff�rentes valeurs de k� est complexe, perdant
son caract�re indispensable � mesure que l'on s'approche du
languedocien mais gardant d'autres valeurs.
Pour ma part, tout en �tant d'accord avec la description des faits, je
ne peux que constater le manque de th�ories explicatives.
L'asyllabisme gascon est tentant si Bec ne l'expliquait pas en partie
par l'existence des particules �nonciatives. On se mord la queue. De
toute mani�re, on voit bien pourquoi c'est k� qui s'est g�n�ralis�,
pour un tas de raisons. Une question plus passionnante encore est le
pourquoi de la co�ncidence parfaite de l'isoglosse du k� �nonciatif
avec les isoglosses les plus aquitains. Une id�e est de dire que
b�tement ce que s'est perdu ailleurs en gascon d'o� le �s qu� girondin
qui n'en est qu'un r�sidu, auquel cas on passe d'un trait aquitain
substratique � un b�te trait gascon, qui ne fait juste que prouver la
profonde unit� du gascon comme ensemble linguistique.
Tout ce que vous dites est très intéressant.

Bec avance encore une hypothèse, assez tirée par les cheveux, dans son
"Manuel pratique de philologie occitane", que vous avez sans doute.

En castillan, avec "ya", on a clairement un renforcement. En basque je
pense que c'est la même chose, et même de façon plus marquée.

<==> des phrases, chez les locuteurs bascophones, du type " cantar ya
canta", "ça, pour chanter, il chante", pour le basque "kantatu egiten
du" (vs. non-marqué: "kantatzen du"). Topicalisation sur le verbe par
"egin" ("faire") en basque, rendue par "ya" en espagnol, ce qui montre
que les locuteurs ressentent bien que ce "ya" exprime un renforcement.

En breton, je ne m'avance pas, n'ayant pas la moindre idée d'états
plus anciens de la langue.

----
Maintenant, la question: substrat ou développement propre à la langue?
En réalité, je ne prétends pas répondre à cette question. Le cas du
breton va simplement m'aider à comprendre le fonctionnement du E
gascon. Mais la question est bien sûr intéressante en elle-même.

Je remarque que le basque et l'anglais ont le même fonctionnement
dans: "kantatu egiten du" / "he does sing". Naturellement, ni
substrat, ni superstrat, simplement des développements parallèles.

Donc nul besoin d'évoquer des établissements de Celtes de l'Aquitaine.

Par contre, je m'aperçois à nouveau que l'appartenance à un même
espace politique marque des langues "génétiquement" éloignées. J'en ai
constaté plusieurs exemples entre le breton et l'occitan, je ne les ai
malheureusement pas notés, mais j'en parlerai si je les retrouve.
Éole
2008-10-19 13:39:36 UTC
Permalink
Le breton emploie HA dans l'interrogation directe totale et dans
l'interrogation indirecte totale:

--------

Soit une juxtaposition simple:

N'ouzon ket ha dont a raio.
Je ne sais pas s'il viendra.

Me garfe gouzout ha te a c'hallo dont ivez.
J'aimerais savoir si tu pourras venir (toi) aussi.

Soit une subordination introduite par hag-eñ, suivi de la particule
verbale e:

N'ouzon ket hag-eñ e teuio.
Je ne sais pas s'il viendra.

Lavar din hag-eñ e ch'alli dont ivez.
Dis-moi si tu pourras venir aussi.

-------

Commentaire: je ne sais pas ce que représente ce "eñ". Dans les deux
cas, on a "ha", variante "hag", je rappelle que ce mot (avec la même
variante) veut par ailleurs dire "et".

-------

En gascon, la subordonnée interrogative totale est introduite par
"se" (variante: "si"), comme dans tous (?) les idiomes romans. Cette
tournure est un emprunt du latin vulgaire au grec. Comme en grec εἰ,
ce "se / si" est la particule introductive des protases (dans les
phrases conditionnelles).
Éole
2008-10-20 07:38:26 UTC
Permalink
Post by Éole
En gascon, la subordonnée interrogative totale est introduite par
"se" (variante: "si"), comme dans tous (?) les idiomes romans. Cette
tournure est un emprunt du latin vulgaire au grec. Comme en grec εἰ,
ce "se / si" est la particule introductive des protases (dans les
phrases conditionnelles).
À la lumière de l'exemple du breton, je pose donc l'hypothèse que
l'emploi de l'énonciatif E dans les subordonnées s'est produit d'abord
dans l'interrogation indirecte.

On a pu avoir en concurrence:

Ne sèi pas se lo vesin vienerà / Ne sèi pas e vienerà lo vesin / Ne
sèi pas se vienerà lo vesin / Ne sèi pas lo vesin e vienerà

puis résolution du "conflit" d'emploi entre SE et E par élimination
des deux premiers types au profit des deux derniers; le premier
restant grammaticalement possible (l'énonciatif E n'a jamais de
caractère obligatoire dans les subordonnées, contrairement à ce qui se
passe dans les propositions indépendantes interrogatives); +
possibilité de prolepse que j'attribuerai plutôt à une réfection du
quatrième type:

Ne sèi pas lo vesin e vienerà ---> Ne sèi pas lo vesin se vienerà.

(ce qui semble en contradiction avec ce que j'écrivais l'autre jour
sur la prolepse dans les complétives introduites par QUE)

Loading...